Présentation


UMR 9022 – Héritages : Culture/s, Patrimoine/s, Création/s


L’UMR Héritages est un laboratoire multi-tutelles soutenu par CY Cergy Paris Université, le CNRS et le ministère de la Culture.

Son cadre de réflexion procède de la mise en synergie de scientifiques du patrimoine et d’enseignants-chercheurs et chercheurs en sciences humaines et sociales travaillant sur le patrimoine, au sein de l’écosystème institutionnel et académique constitué autour de CY.

Héritages a vocation à mettre en œuvre des approches comparatistes (anthropologiques, multiscalaires et diachroniques) sur les problématiques et les objets du patrimoine matériel et immatériel.

Ces objets patrimoniaux y sont abordés sous un angle théorique et méthodologique fondé sur l’épistémologie et la construction des savoirs, dans un cadre résolument interdisciplinaire, du fait de l’appartenance scientifique de ses membres (anthropologues, archéologues, historiens, historiens des idées, sociologues, littéraires, linguistes, spécialistes des études aréales, des arts visuels et des politiques culturelles).

La recherche au sein d'Héritages s'articule autour de trois grands axes

 
Axe 1 : Inventivités collectives et créativités des savoirs

Cet axe de recherche transversal s’intéresse à l’épistémologie et à la construction des concepts, des savoirs et des pratiques à l’œuvre dans les dynamiques de production culturelle, d’instauration et d’institution des cultures. L’approche, qui au sein de l’axe concerne des chercheurs en anthropologie, histoire, géographie, études littéraires et aréales, est résolument interdisciplinaire et questionne les manières dont les humains et leurs institutions mettent en forme leurs environnements, qu’ils soient habités, cultivés, industriels ou supposés naturels, et donnent sens à ce qui les entoure en France et ailleurs. En pensant le monde à travers les ressources qu’ils repèrent, collectent, utilisent, recyclent, interprètent, les êtres sociaux font culture commune. Ces « inventivités collectives » renvoient à des dynamiques plurielles et constitutives des identités au sens où des individus et des groupes peuvent s’auto-définir à travers l’expression d’un « je suis » et/ou d’un « nous sommes ». Elles donnent ainsi naissance à l'idée de Communauté, ou du moins en font sentir les présences. Cette naissance peut être encouragée, voire instrumentalisée, par les références à un passé commun et des mises en mémoire ou en patrimoine. En écrivant et en réécrivant le passé, les scientifiques, historiens en particulier, mais aussi le politique, et, depuis le « tournant patrimonial », d’autres acteurs (associations, communautés, etc.) ont nourri des modalités de valorisation culturelle plurielles et multi-scalaires et des appartenances collectives malléables. Les chercheurs de l’axe 1 proposent donc d’être attentifs à la très grande diversité de moments, de discours, de lieux propices à l’émergence de nouveaux communs et d’une réflexivité humaine. Dans les pas de Michel de Certeau, il s’agit « d’exhumer les formes subreptices que prend la créativité dispersée, tactique et bricoleuse des groupes ou des individus » (De Certeau Michel, 1980, L’invention du quotidien – 1. arts de faire, p. XL) pour accéder à la mécanique de transformation/reformation des cultures.

Ces inventions passent par le regard que les humains portent sur les choses qui les entourent pour mettre en ordre leur monde. Elles supposent l’élaboration de savoirs au sens le plus large —pratiques réflexives comme des mises en ordre rituelles, reliés aux expériences qu’elles suscitent. Elles alimentent des savoirs, populaires ou académiques, reconnus ou contestés, autrement dit génèrent une créativité réflexive qui mérite d’être analysée. L’émergence d’un discours sur l’altérité, de savoirs des différences et d’explicitation de ce qui constitue la singularité de chaque culture et la légitimité accordée à ces savoirs, constitue dans cette optique un enjeu crucial dans la mesure où les tensions, revendications et concurrences auxquelles ces expressions donnent lieu sont également les révélateurs de dynamiques politiques et infra-politiques. « Faire savoir », au double sens de fabriquer de nouveaux modes de penser le monde et de pouvoir exprimer une connaissance, passe par des découvertes, une aptitude à donner du sens à des expériences codifiées ou non et permet donc de décrypter les relations nouées avec un environnement physique lui-même perçu et ressenti.

Ces inventivités collectives sont appréhendées à travers trois lignes directrices :

  • Cultures environnementales

La formule « culture environnementale » relève pour ainsi dire de l’oxymore car elle revient à dire qu’il y aurait des cultures qui se caractériseraient par un attribut environnemental voire naturel. Le parti pris de cette formule est de renverser la focale d’analyse des objets culturels, qui tend à envisager la culturalisation de la nature comme signe d’un élargissement du regard à des objets nouveaux, au profit d’une approche qui considère la culture comme le fruit du regard porté par les humains sur leur environnement. L’idée est donc d’y considérer non seulement la nature comme un objet soumis à un traitement culturel mais d’envisager le processus complexe d’instauration et d’institution de la culture comme partie prenante de la prise en compte d’une réalité matérielle, naturelle ou fabriquée, à la manière de la démarche proposée par l’éco-poétique en littérature.

Les discours et mises en œuvre du religieux ou du politique, qui représentent usuellement une importante dimension de la culture des peuples, ont d’ailleurs investi souvent la nature d’une charge morale, pas toujours positive. Les dispositifs participatifs de co-création ou de labellisation et les rhétoriques de la crise, du développement durable et de la transition introduits dans les politiques publiques culturelles plus récemment peuvent en être d’autres déclinaisons. Porter attention à la place accordée aux catégories du végétal, de l’animal et plus largement du biologique dans les processus de valorisation symbolique et les représentations culturelles, permet aussi d’explorer ces dynamiques socio-culturelles. Les expressions culturelles du vivant, d’une écopoétique de la relation à la terre et à l’horizon habitable, comme la littérature archipélique, constituent des terrains de choix pour saisir les nouveaux modes de présence au monde à l’ère de l’anthropocène. Les chercheurs de l’axe les abordent à travers l’analyse des manières de prendre en compte les ressources naturelles, les processus de mise en Culture de l’environnement (rituels, tourisme, patrimoine) et des processus de légitimation culturelle du pouvoir (religieux, politiques).

  • Sciences ouvertes et intelligences collectives

Les lieux d’instauration de la Culture sont aussi des lieux d’inventaire, de conservation, de médiation et de diffusion de savoirs scientifiques. Des cabinets de curiosités européens au développement des musées et centres d’archives, la découverte et l’instauration des arts et des cultures a été propice aux mises en collection. Vue comme une des conditions d’élaboration des savoirs académiques, la collection est aussi expression d’un attachement, individuel ou collectif dont il importe de questionner l’institutionnalisation et le partage.

Alors que les modalités mêmes des collectes dites « ethnographiques » ou « naturalistes » se transforment et débordent la sphère scientifique, les projets de science ouverte proposent un accès plus large aux collections et aux contenus des bases de données scientifiques. Bérose, encyclopédie internationale des histoires de l’anthropologie, ou l’expérience des Réveillées, plate-forme de valorisation d’archives ethno-musicologiques multimédias, et le CCC, Communauté des Chercheurs sur la Communauté, réseau international et interdisciplinaire (chercheurs, artistes, particuliers), offrent des exemples d’interface et de rencontre entre sciences et société civile, professionnel et amateur. L’un des enjeux de ces projets, comme celui de la revue ethnographiques.org, est d’explorer de nouveaux modes de « faire savoir », au double sens de fabriquer et de diffuser, à la croisée de plusieurs médias, d’élargir et d’internationaliser les concernés.

D’autre part, la diffusion des connaissances à l’aune d’une société numérique croise désormais les contributions d’individus ou de groupes aux profils les plus divers, invités à contribuer à des projets de sciences dites participatives ou citoyennes. Au côté ou en marge des protocoles scientifiques, d’autres collecteurs se saisissent des outils de l’ethnographie pour alimenter des créations propices à l’émergence de nouveaux modes d’élaboration de connaissance et de partage d’information. Les rencontres entre associations, artistes, amateurs et scientifiques auxquelles elles donnent lieu invitent à considérer les « intelligences collectives » qu’elles nourrissent et leur influence à la fois sur les sciences, mais aussi sur le social et le politique, l’économique, etc.

  • Épistémologies et créativités collectives

Penser des altérités revient à construire des différences et interpelle depuis toujours l’administration des peuples. Depuis l’antiquité, l’histoire en a livré de multiples exemples : des voyages d’Hérodote à la curiosité érudite des sciences de gouvernement, y compris colonial, en passant par les entreprises de réforme missionnaire et religieuse. Le discours des différences peut s’élaborer dans des contextes divers : à travers les débats qui agitent les milieux littéraires, artistiques et scientifiques découvrant les arts préhistoriques ou prétendument primitifs, ou la remise en question des assises épistémologiques des disciplinaires avec la découverte des matériaux ethnographiques du monde entier. La redéfinition des fondements des différences et leurs critères marquent aussi des ruptures, politiques, sociales, voire civilisationnelles.

Car penser les différences revient aussi à penser les communs. A l’heure de l’anthropocène, la mise en forme d’altérités tend à déborder la question des humains. La mésologie propose ainsi de prendre en compte l’idée qu’un milieu n’existe qu’à travers la définition d’une subjectivité qui en envisage la présence. Dès lors, ses entités constitutives, vivantes ou non, s’offrent en tant qu’altérités à penser, invitant à reconsidérer la posture des études aréales ou d’une anthropologie définie comme science de l’altérité.

Les traditions savantes qui se sont emparées des différences sont plurielles, elles s’expriment dans des filiations intellectuelles souvent méconnues ; leurs histoires respectives, leurs enjeux, et les circulations internationales ou interdisciplinaires qui les ont influencées sont également multiples. Face à l’émergence et aux revendications de nouvelles ontologies pour penser les différences entre humains et non humains, repérer les conditions d’une impulsion vers la connaissance de ce qui fait « autre », « primitif », « sauvage », « étranger », « nouveau », « authentique » questionne ces traditions.

Axe 2 : Expériences, pratiques, acteurs dans les champs culturels et littéraires
  • Transformations opérées dans le champ patrimonial : glissement de la valeur du patrimoine fondée sur des critères classiques (ancienneté, authenticité, exceptionnalité) à la valeur sociale, concomitante à la prise en compte du patrimoine immatériel. Orientation également vers une justice culturelle mondialisée et réorientation plus générale de sa valeur, et de sa place dans le monde contemporain. Par exemple : dimension éminemment politique du patrimoine, montée en puissance de l’expertise des communautés, reconnaissance patrimoniale comme instrument de réparation mémorielle... Ces transformations méritent qu’on s’y arrête, qu’on les déploie, qu’on les interroge et qu’on les analyse.

Un exemple de cette démarche déjà en cours : le groupe de travail Émotions/mobilisations (GT Emobi) autour de Notre Dame de Paris. Le groupe analyse la polyphonie des discours et des mobilisations, son orchestration et ses confrontations, ses dynamiques et ses paralysies. Sa perspective culturelle, très englobante, recouvre aussi les dimensions artistiques et littéraires. Le GT est amené à travailler aussi bien sur les grands textes de la littérature et la façon dont ils ont été revisités après l'incendie qu'avec des artistes contemporains.
 

  • Création et écriture (littérature, écriture créative, et pratiques non littéraires), dans leur lien avec le patrimoine, selon quatre axes :
    • Devenirs « classiques », processus de création et de légitimation, réécritures, circulation et hybridation des modèles esthétiques, communautés
    • Phénomènes d’exclusion du champ patrimonial (minorités ethniques, éviction de certains créateurs, politiques éditoriales)
    • Articulations entre écriture scientifique et écriture littéraire. Leur histoire dans le champ patrimonial, leur devenir et leurs enjeux en recherche-création. Ces réflexions sont en particulier au cœur du projet de recherche international émergent à CYU, « Ecriture créative en formations : enjeux épistémologiques et méthodologie de recherche (ECF) ».
    • Écriture de l’histoire et des mémoires, des lieux et des espaces, réactualisations de patrimoines historiques. Ces approches intègrent une dimension comparatiste.
  • Patrimoines et créations en circulation. Ils seront analysés selon deux voies principales :
    • Problème des circulations différenciées, économies dites créatives, étude et publication d’inédits d’écrivains, construction d’une cartographie des espaces de circulation (importance dans ce champ de l’Observatoire des littératures contemporaines au Maghreb, des recherches portant sur les corpus de littératures francophones, une des spécificités de CYU, et des littératures non francophones – britanniques, américaines, latino-américaines, japonaises).
    • Un accent particulier sera porté sur l’analyse des tensions, dans les domaines matériels, sociaux, politiques, qui agitent ce champ. Attention en particulier aux phénomènes de destruction patrimoniale et de valorisation. Analyse des contradictions inhérentes à la dimension transnationale et à la globalisation contemporaine. Dimension marchande et touristique. Lien monde académique et institutions culturelles. Analyse des dispositifs de valorisation.
Axe 3 : Savoirs et transmissions

Cet axe de recherche entend rassembler les chercheurs qu’il réunit autour de plusieurs lignes directrices qui, dans une perspective transdisciplinaire, mêlent anthropologie, archéologie et histoire, et s’appuient sur de multiples partenariats avec des institutions muséales (le Musée d’Archéologie Nationale, le Musée de l’Armée, le Musée de Cluny, etc.).

  • La première de ces lignes directrices est construite autour de la dynamique de l’archéologie, de la patrimonialisation, de l’institutionnalisation des biens culturels et de leur valorisation au travers des questions relatives notamment à la muséographie et à la constitution des collections. Portant en particulier sur les sites patrimoniaux à dimension mémorielle (sites castraux, cathédrales, villes, ruines, etc.), la réflexion sur la valorisation est renforcée par l’implication de plusieurs chercheurs dans le chantier-école du site gallo-romain de Genainville. Les travaux développés se nourrissent par ailleurs de l’existence d’une chaire d’Excellence sur la protohistoire et l’archéologie. En outre, l’exploration des formes de patrimonialisation amène à s’interroger à la fois sur les émotions patrimoniales et les formes de médiation (performances, expositions, reconstitutions, etc.).
  • En lien avec ces premières orientations, une deuxième ligne directrice est construite autour de l’articulation entre le patrimoine, le territoire, et la construction des identités et des mémoires. Il s’agit alors notamment d’interroger les appropriations et réappropriations du passé, au travers en particulier des enjeux mémoriels et patrimoniaux associés aux frontières.
  • Une troisième ligne directrice construite autour de la guerre et du patrimoine s’articule avec les deux premières autour de questionnements et d’objets communs : il s’agit ici d’interroger le patrimoine lié à la guerre dans ses aspects matériels, au travers d’objets (armures, armes, images, etc.) et de sites (architecture militaire, ruines, etc.), mais aussi dans ces aspects immatériels (mémoires, traumatismes, exil, captivité, etc.)

Selon trois approches :

  1. Historicité ;
  2. Globalisation et jeux d’échelle ;
  3. Réflexivité.