Maria-Victoria Bouvier Lacasa

Maria-Victoria Bouvier Lacasa
Maria-Victoria Bouvier Lacasa
Courriel : maria.bouvier-lacasa@ens-lyon.fr / mavibola@hotmail.fr
Date d'inscription
Septembre 2024

Directrice de recherche
Cécile Vincent-Cassy (Héritages, CY) 

Co-directeur de recherche
José Riello (UAM) 

Intitulé de la thèse
La construction d’une histoire de l’art espagnole : l’Escurial et José de Sigüenza
The construction of a Spanish art history: El Escorial and José de Sigüenza

Résumé de la thèse

Quels sont les différents attributs adjoints à l’idée de peinture espagnole ? Depuis quand le sont-ils et dans quel type de discours prennent-ils leurs racines? Ces questions nous mènent vers un texte que l'on peut considérer comme la première tentative de délimitation de l’art espagnol : la Historia de la Orden de San Gerónimo (1605), de José de Sigüenza (1544-1606).
La Historia n'est pas un traité d’art : c’est la chronique historique dont le propos premier est celui de faire l’apologie de la communauté hiéronymite, ainsi que de celle du monastère de l’Escurial. Le choix de l’ordre de Saint-Jérôme à l’Escurial n’est pas anodin : il répond à un projet politique d’ampleur, visant à faire de l’Escurial un bastion du militantisme catholique, un lieu de spiritualité mais aussi, et surtout, un lieu de pouvoir. Cette responsabilité morale est endossée par la Monarchie hispanique, qui met entre les mains des hiéronymites, ordre proprement ibérique, le fonctionnement du monastère. Dans ce contexte d’affirmation du caractère ibérique d’un ordre placé aux commandes du plus prestigieux centre spirituel de la Monarchie hispanique, l’apologie prend tout son sens. La Historia se divise en trois parties, et retrace l’histoire des figures et des faits marquants de l’ordre.

Notre intérêt se porte tout particulièrement sur la description des œuvres du monastère, qui occupe le dernier livre de la troisième partie de la Historia. La construction de l’Escurial implique le déploiement d’un vaste programme artistique, intimement lié aux activités de mécénat de Philippe II, à l’expression du pouvoir monarchique et à la consolidation de la foi catholique post-tridentine à travers l’image. La question de l’image religieuse est épineuse dans le contexte de l’après-Concile. Bien que ce dernier s'y attache lors de sa dernière session, ses conclusions restent pour le moins lacunaires : aucune théorie de l’image religieuse ne vient centraliser, réguler la production artistique, ni même établir des critères de valorisation de l’image. Pourtant, le quatrième livre de la troisième partie de la Historia de Sigüenza est un texte constellé de jugements : il s’agit d’un itinéraire commenté à travers lequel l’auteur se livre à des comparaison, des critiques ou des éloges, de toutes les œuvres d’art présentes à l’Escurial lors de sa fondation. Selon quels critères se font ces commentaires ? Est-ce de la pure subjectivité, ou doit-on y voir le reflet d’un goût naissant en Espagne pour un certain type d’œuvres ? L’Escurial rassemble les œuvres d’un grand nombre d’artistes européens : celles d’artistes espagnols, mais aussi celles d’Italiens, de flamands et même d’un Grec.

Cette coexistence d'artistes de provenances diverses est, dans le discours de Sigüenza, problématique. Les tableaux et fresques qui font l’objet de ses éloges partagent deux dénominateurs communs. Tout d’abord, ils inspireraient l’envie de prier et seraient en parfait accord avec les valeurs du catholicisme hispanique.
L’autre facteur qui suscite les louanges de Sigüenza, et qui attire tout particulièrement notre attention, est l’origine espagnole des peintres dont il salue la valeur artistique.
L’œuvre de Sigüenza doit se situer dans un contexte d’affirmation de la Monarchie Hispanique comme principale représentante d’une chrétienté qui tente de se consolider après le Concile de Trente. Dans cette perspective, les œuvres d’art, et les commentaires qui les décrivent, prennent une sens politique. Il s’agira pour cela de déceler comment, à partir d’un discours politique sur l’art, Sigüenza distingue l’art espagnol du reste des manifestations artistiques européennes, esquissant de cette manière une première idée de ce qu’est, au tout début du XVIIe siècle, la peinture espagnole.

Résumé de la thèse en anglais

What different attributes are attached to the idea of Spanish painting? How long have they been used, and what kind of discourse are they rooted in? These questions lead us to a text that provides an initial attempt to delimit Spanish art: the Historia de la Orden de San Gerónimo (1605), by José de Sigüenza (1544-1606).
The Historia is not an art treaty : it is a historical chronicle whose primary purpose is to glorify the Hieronymite community and the monastery of El Escorial. The choice of the Order of St Jerome for El Escorial was not an insignificant one: it was part of a far-reaching political project aimed at making El Escorial a bastion of Catholic militancy, a place of spirituality but also, and above all, a place of power. This moral responsibility was assumed by the Hispanic Monarchy, which placed the running of the monastery in the hands of the Hieronymites, a specifically Iberian order. In this context of affirmation of the Iberian character of an order placed at the helm of the most prestigious spiritual centre of the Hispanic Monarchy, the apology takes on its full meaning. The Historia is divided into three parts, tracing the history of the Order's key figures and events.

We are particularly interested in the description of the works in the monastery, which can be found in the last book of the third part of the Historia. The construction of El Escorial involved the deployment of a vast artistic programme, intimately linked to Philip II's patronage activities, the expression of monarchical power and the consolidation of the post-Tridentine Catholic faith through images. The question of religious imagery was a thorny one in the post-Council context. Although the last session of the Council focused on this issue, its conclusions were incomplete, to say the least: there was no theory of the religious image to centralise and regulate artistic production, or even to establish criteria for valuing images. Yet the fourth book of the third part of the Historia de Sigüenza is a text full of judgements: it is a commented itinerary in which the author compares, criticises or praises all the works of art present at El Escorial when it was founded. What are the criteria for these comments? Is it purely subjective, or does it reflect an emerging taste in Spain for a certain type of work? El Escurial brings together works by a large number of European artists: Spanish artists, but also Italians, Flemish and even a Greek.

This coexistence of nationalities is problematic in Sigüenza's discourse. The paintings and frescoes he praises share two common denominators. Firstly, they inspire the desire to pray and are perfectly in keeping with the values of Hispanic Catholicism.
The other factor in Sigüenza's praise that really catches our attention, is the Spanish origin of the painters whose artistic merits he praises.
Sigüenza's work should be seen in the context of the Hispanic Monarchy's assertion of its role as the main representative of a Christianity that was trying to consolidate itself after the Council of Trent. From this perspective, the works of art, and the commentaries that describe them, take on a political meaning. The aim here is to see how, on the basis of a political discourse on art, Sigüenza distinguished Spanish art from the rest of European artistic expression, thereby sketching out an initial idea of what Spanish painting was at the very beginning of the 17th century.

El Escorial en obras, 1576. (Londres, Hatfield House, colección del Marqués de Salisbury)
El Escorial en obras, 1576. (Londres, Hatfield House, colección del Marqués de Salisbury) - El Escorial en obras, 1576. (Londres, Hatfield House, colección del Marqués de Salisbury)