Publié le 29 mars 2024–Mis à jour le 22 avril 2024
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François Pernot esquisse les contours de la guerre du futur
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Être historien, ça n’implique pas seulement d’étudier le passé. François Pernot le démontre à travers ses recherches sur la guerre du futur. Terrains de batailles, avancées technologiques et stratégies : la guerre de demain se construit aujourd’hui.
Profession : historien de la guerre
François Pernot est professeur d’histoire à CY Cergy Paris Université, et mène des recherches sur l’histoire de la guerre au sein du laboratoire Héritages. Il définit sa discipline comme suit : "être historien de la guerre, ce n’est pas tellement chercher à connaître le déroulé des guerres, car cela, on le sait depuis relativement longtemps. C’est plutôt d’essayer de comprendre quelles sont les causes des guerres, quelles en sont les conséquences directes. Ce qui m’intéresse tout particulièrement, c’est d’identifier d’éventuels mécanismes, humains ou technologiques, que l’on peut retrouver de manière récurrente depuis les guerres de la plus haute antiquité jusqu’à aujourd’hui, et sans doute demain".
François Pernot a commencé sa carrière comme professeur d’histoire-géographie dans l’Éducation nationale. Dans les années 1990, il a été détaché au service historique de l’Armée de l’air pour mener des recherches sur l’histoire de l’aviation. Son travail a mêlé histoire de la guerre et histoire des sciences et techniques, lui permettant une exploration passionnante de l’avion à travers les âges. Car l’aviation a durablement changé le périmètre du champ de bataille. "Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la guerre se déroulait essentiellement sur terre et en mer. Mais d’un coup, avec l’avion, une troisième dimension est apparue. Les ballons existaient déjà, mais ils étaient utilisés à des fins de reconnaissance, d’observation. L’avion a permis de développer des stratégies offensives dans les airs".
Dessiner les contours de la guerre du futur
Aujourd’hui, François Pernot place au cœur de ses recherches l’étude des ruptures scientifiques, technologiques et les évolutions de l’armement comme facteurs moteurs de la dynamique des guerres. Pour lui, la guerre du futur est déjà là. "Les guerres du XXIe siècle sont déjà annoncées, pas forcément dans leurs causes, mais dans leur forme".
En premier lieu, la guerre du futur sera urbaine. D’ici 2060, les deux tiers de la population mondiale vivront en ville. Celle-ci représente donc le point stratégique par excellence pour les états : c’est là que se trouvent les centres de décision, les pouvoirs - politique, économique et social - et surtout les infrastructures.
Ensuite, l’un des enjeux les plus importants sera d’enlever l’homme du champ de bataille. "Nous vivons dans des sociétés, particulièrement dans le monde occidental, où on a culturellement un certain refus de la mort. C’est donc un rêve que de faire moins de victimes en cas de conflit".
Par quoi remplacer l’humain sur le champ de bataille ? La réponse se trouve dans le développement des machines. Cette évolution est déjà en marche. "Le drone est l’exemple le plus commun du remplacement du soldat par la technologie. Il existe déjà toute une panoplie de drones civils et militaires qui permettent de remplir des missions jusque-là assurées par des hommes".
Le tout-technologique a ses limites
En réalité, la course au tout-technologique présente déjà des failles. "Il y a une trentaine d’années, les Américains ont adopté une doctrine qui privilégiait le tout-technologique. L’idée était d’investir massivement dans des moyens matériels afin d’épargner autant que possible les vies des troupes. On a qualifié ce mouvement de révolution militaro-technologique. Mais très vite, cette doctrine a fait connaître ses limites : en zones rurales, peu mécanisées et peu connectées comme elles peuvent exister en Afghanistan [où les États-Unis ont déployé leur armée de 2001 à 2021], le matériel sophistiqué ne peut pas remplir son rôle".
Le guerrier du futur, entre super-héros et chevalier des temps modernes
Ainsi, il est peu probable que les armées puissent totalement se passer de la présence d’humains sur les champs de bataille. Les innovations militaires actuelles visent alors essentiellement à protéger les corps et décupler les capacités physiques. Cette approche est loin d’être nouvelle. "L’humanité a toujours rêvé au super-guerrier. Dès l’Antiquité, on retrouve déjà cette idée du guerrier d’élite dans les armées perses ou grecques. Le chevalier du Moyen-Âge en est aussi un modèle par excellence". Les armées contemporaines ont leurs chevaliers des temps modernes : les forces spéciales. Des hommes et des femmes surentraînés, au physique et au moral hors du commun.
Pour équiper les soldats du futur, cinq défis se profilent, évoquant les plus grands films de science-fiction, de super-héros et d’espionnage. On cherche tout d’abord à échapper à la gravité, en se déplaçant individuellement dans les airs, avec le développement de dispositifs similaires au jet pack de James Bond. "Ça existe déjà, le ministère de la défense britannique a même publié des vidéos de démonstration sur YouTube. En France, on a aussi vu un homme volant durant le défilé du 14 juillet 2019, un soldat équipé d’un système de propulseur qui s’est posé devant la tribune présidentielle".
Les autres défis paraissent tout aussi fantasques : l’auto-régénération grâce à des tissus intelligents cicatrisants, le camouflage électronique, le blindage humain et la commande à distance par la pensée. "Tout cela fait très science-fiction, mais ce sont véritablement des projets à l’étude. On peut envisager le déploiement de ces technologies à l’horizon 2050".
Progrès militaires, bénéfices civils
François Pernot aime à rappeler que les progrès issus de la recherche militaire finissent souvent par être rendus largement accessibles aux citoyens. "Je vois ces recherches à travers l’histoire de la guerre, mais je les considère aussi et tant mieux, dans le contexte de l’histoire de la médecine. Les projets de commande par la pensée pourront par exemple servir à réhabiliter des fonctions pour des personnes qui ont perdu leur motricité. Les tissus cicatrisants ont des applications évidentes en médecine. Il ne faut pas se tromper : ces technologies sont duales".