Recherche
Vous êtes ici :
- Unité de recherche
- CY Héritages
- Accueil
- Événements
- Fil d'actualité
le 15 mars 2021
Recherche
Publié le 2 mars 2021– Mis à jour le 27 juillet 2022
Histoires nationales
Histoires nationales et narrations minoritaires à l'Ecole - Journée d'étude - 15 mars 2021
Programme de la journée d'étude
La journée d’étude « Histoires nationales et narrations minoritaires à l’École » se situe dans le droit fil des programmes des deux séminaires interdisciplinaires : « Histoire scolaire et éducation à la citoyenneté en Europe : quelles articulations ? » (laboratoire Agora – CY Cergy Paris université – ENS) et « L’enseignement scolaire de l’histoire » (Centre d'histoire de Sciences PO), actifs respectivement depuis 2018 et depuis 2011.
La réflexion transdisciplinaire et transnationale qui anime les deux séminaires a permis de vérifier une hypothèse de travail : au-delà des traditions politico-pédagogiques dans lesquelles les dispositifs nationaux d’enseignement de l’histoire s’inscrivent, ces derniers se trouvent réunis par l’intensité des polémiques qui les visent sur la scène publique et par le caractère à la fois radical et contradictoire des mouvements de réforme qui les touchent. Ces courants de révision critique investissent le statut épistémologique, les cadres de référence et les finalités de l’histoire scolaire. Le statut et la légitimité de la discipline scolaire se brouillent, entre projets nationaux assimilationnistes, autonomies locales et revendications identitaires dans le rapport à la communauté nationale. L’injonction de l’autonomie, pour les élèves et les enseignants, tend à s’accompagner de l’abandon de programmes détaillés et contraignants, et de la reconnaissance de la diversité des héritages ou des appartenances comme une valeur. Si les réponses sociales sont différenciées et d’intensité variables, des instances et des nœuds homologues semblent se dégager à l’intérieur de ce scénario. Ils appellent une analyse de la réception et l’impact de ces révisions critiques au niveau des prescriptions, des pratiques didactiques ou de l’appropriation par les élèves, en croisant les regards, les démarches et les instruments d’analyse.
Parmi les cibles récurrentes de la contestation, le rôle d’un récit national unique, mythifié et fédérateur a depuis longtemps retenu l’attention des chercheurs. Sa critique émane d’instances parfois antagonistes : pluralité des mémoires et des identifications, autonomie de l’élève et appropriation de son histoire, et dans la plupart des contextes, nouvelles articulations entre programmes d’histoires et des objectifs (horizontaux et immanents) de formation à la citoyenneté. La revendication explicite d’une ouverture au contexte local et au pluralisme des héritages, des identités et des mémoires [Revue française d’éducation comparée, 17-2018] est un mouvement qui a amené tantôt à l’éclatement d’un récit unitaire, au nom de l’inclusion, tantôt à un mouvement de réaction, préconisant la restauration de mythes et rhétoriques fédératrices. Cette dernière tendance s’appuie souvent sur l’autorité d’un récit homogène valorisant un mythe des origines ; mais aussi sur une référence, de plus en plus impérative, à des mémoires normatives unificatrices, un devoir de mémoire qui est aussi un appel à la cohésion sociale, par-delà les vécus et les appartenances.
La logique de « dénationalisation » n’est donc ni un mouvement à sens unique, ni a-problématique [Seixas 2018]. La dialectique centre-périphérie n’a pas non plus trouvé une solution avec l’avènement, dans de mesures différentes, d’une didactique plus inclusive et participative : à la périphérie des grandes villes, comme des États, elle se perpétue, en intégrant de nouveaux enjeux, et en engendrant des récits concurrents.
Mettre l’accent par cette journée d’étude sur le statut et la dynamique de l’inscription des narrations minoritaires dans l’enseignement de l’histoire représente donc une manière d’aborder de front – et dans une perspective plurielle – une transformation sous-jacente à la plupart des pays étudiés, à partir du moment où un projet d’assimilation culturelle est dénoncé comme une négation des singularités légitimes et que les alternatives à ce projet s’opposent l’une l’autre.
Sans limiter cette problématique à une discussion interne aux outils et aux finalités de l’enseignement, les communications que cette journée d’étude réunit, font notamment apparaître l’imbrication de la production des savoirs scolaires dans des processus de recomposition géopolitique (la crise de l’État-nation), culturelle et anthropologique, qui interrogent non seulement les débat à l’échelle nationale, mais aussi l’action volontariste des institutions transnationales comme le Conseil de l’Europe, la Commission européenne, ou l’Unesco.
Une dimension spécifique de cette problématique est celle qui concerne l’autonomie régionale et l’acquisition, par des entités fédérées de plusieurs pays, de nouvelles compétences en matières d’éducation: la tendance est confirmée par la formation de macro-régions et de curricula transfrontaliers, ou bien par la promotion du patrimoine culturel des minorités reconnues, au sein même des frontières de l’État-nation.
Le concept de narration unificatrice ou de « roman national » a un caractère moins universel ou structurant qu’on ne pourrait le croire : dans plusieurs État-nations (y compris des anciens empires coloniaux), la tradition d’enseignement se réfère à une identité présumée, dont la définition n’est pas élaborée en termes ethniques. Le récit fondateur consiste alors d’un conglomérat de destins différents – une configuration fortement mise à mal depuis l’émergence des « petits patries » qui avaient été auparavant intégrés dans l’enseignement de l’histoire nationale [Chanet,1996]. Les craintes suscitées par ces phénomènes sont bien attestées par les récente tentatives de produire – en Grande Bretagne, aux Pays-Bas, mais aussi aux États-Unis et un Espagne – un canon commun, plus inclusif, mais dont les bases sont à réinventer [L’école et la Nation, 2013].
Dans d’autres cas (du Sud Tyrol italien aux Flandres), l’émergence de contre-récits nationaux a pu s’appuyer avec succès sur la conquête d’une autonomie politique : l’affirmation culturelle d’une mémoire et d’un contre-récit – activée au niveau des mobilisations de terrain, bien avant sa reconnaissance officielle dans les curricula – devient un acte de libération. Mais la multiplication des « micro-romans » régionaux les rend-ils plus légitimes, et plus politiquement viables ? La question est actualisée par le cas, posé notamment par les territoires de l’ancien empire soviétique, de la place des anciens citoyens d’un État pluriethnique au sein des « nouvelles patries », proclamant fièrement leur primauté.
En outre, les implications concrètes des processus de décentralisation sur les systèmes éducatifs ont été très diversifiés ; tantôt ils cautionnent la séparation des compétences en matière de programmes sur une base territoriale, tantôt ils introduisent la reconnaissance de nations dispersées sur le territoire national (comme le montre le cas des Samis, reconnus dans les années 2000 comme une « minorité nationale » bénéficiant de droits culturels), tantôt – comme en France - ils n’autorisent pas des compétences concurrentes dans le domaine éducatif alors que des demandes existent.
La question de la place des récits minoritaires dans l’enseignement de l’histoire - loin de s’épuiser dans la question des identités régionales - interroge également l’affirmation ou l’absence d’autres identités, qu’elles soient culturelles, ethniques ou religieuses, au sein des récits nationaux scolaires. L’intensification des flux migratoires (notamment entre l’Europe et d’autres continents) n’a fait que généraliser la discussion – bien présente dès les années 1980 dans le cas de la Grande-Bretagne, de la France et des pays scandinaves – autour des conditions de l’intégration des enfants d’immigrés et de la réponse la plus appropriée à la demande de reconnaissance et d’inclusion symbolique qui en émane. Ce débat, parfois violent, est loin d’être tranché ; il convoque, pour certains pays, les mémoires de l’expérience coloniale et la difficulté de les mettre en récit en variant les perspectives et les points de vue.
Les différents cas analysés montrent l’intervention de différentes instances de régulations pour prendre en compte dans un récit commun des groupes occultés, discriminés ou violentés comme les membres des « Premières nations » au Canada. Cette prise en compte met en cause d’une part l’intrigue héroïque sur laquelle les histoires nationales se sont édifiées et d’autre part, le paradigme de l’histoire scolaire formant des élèves-citoyens à travers une émancipation des identités jugées comme faisant obstacle au lien à la nation [Tutiaux-Guillon 2009]. Une telle évolution n’est cependant pas linéaire et se heurte à des logiques de nationalisation par assimilation/acculturation toujours en cours comme on le voit en Pologne.
BIBLIOGRAPHIE
La journée d’étude « Histoires nationales et narrations minoritaires à l’École » se situe dans le droit fil des programmes des deux séminaires interdisciplinaires : « Histoire scolaire et éducation à la citoyenneté en Europe : quelles articulations ? » (laboratoire Agora – CY Cergy Paris université – ENS) et « L’enseignement scolaire de l’histoire » (Centre d'histoire de Sciences PO), actifs respectivement depuis 2018 et depuis 2011.
La réflexion transdisciplinaire et transnationale qui anime les deux séminaires a permis de vérifier une hypothèse de travail : au-delà des traditions politico-pédagogiques dans lesquelles les dispositifs nationaux d’enseignement de l’histoire s’inscrivent, ces derniers se trouvent réunis par l’intensité des polémiques qui les visent sur la scène publique et par le caractère à la fois radical et contradictoire des mouvements de réforme qui les touchent. Ces courants de révision critique investissent le statut épistémologique, les cadres de référence et les finalités de l’histoire scolaire. Le statut et la légitimité de la discipline scolaire se brouillent, entre projets nationaux assimilationnistes, autonomies locales et revendications identitaires dans le rapport à la communauté nationale. L’injonction de l’autonomie, pour les élèves et les enseignants, tend à s’accompagner de l’abandon de programmes détaillés et contraignants, et de la reconnaissance de la diversité des héritages ou des appartenances comme une valeur. Si les réponses sociales sont différenciées et d’intensité variables, des instances et des nœuds homologues semblent se dégager à l’intérieur de ce scénario. Ils appellent une analyse de la réception et l’impact de ces révisions critiques au niveau des prescriptions, des pratiques didactiques ou de l’appropriation par les élèves, en croisant les regards, les démarches et les instruments d’analyse.
Parmi les cibles récurrentes de la contestation, le rôle d’un récit national unique, mythifié et fédérateur a depuis longtemps retenu l’attention des chercheurs. Sa critique émane d’instances parfois antagonistes : pluralité des mémoires et des identifications, autonomie de l’élève et appropriation de son histoire, et dans la plupart des contextes, nouvelles articulations entre programmes d’histoires et des objectifs (horizontaux et immanents) de formation à la citoyenneté. La revendication explicite d’une ouverture au contexte local et au pluralisme des héritages, des identités et des mémoires [Revue française d’éducation comparée, 17-2018] est un mouvement qui a amené tantôt à l’éclatement d’un récit unitaire, au nom de l’inclusion, tantôt à un mouvement de réaction, préconisant la restauration de mythes et rhétoriques fédératrices. Cette dernière tendance s’appuie souvent sur l’autorité d’un récit homogène valorisant un mythe des origines ; mais aussi sur une référence, de plus en plus impérative, à des mémoires normatives unificatrices, un devoir de mémoire qui est aussi un appel à la cohésion sociale, par-delà les vécus et les appartenances.
La logique de « dénationalisation » n’est donc ni un mouvement à sens unique, ni a-problématique [Seixas 2018]. La dialectique centre-périphérie n’a pas non plus trouvé une solution avec l’avènement, dans de mesures différentes, d’une didactique plus inclusive et participative : à la périphérie des grandes villes, comme des États, elle se perpétue, en intégrant de nouveaux enjeux, et en engendrant des récits concurrents.
Mettre l’accent par cette journée d’étude sur le statut et la dynamique de l’inscription des narrations minoritaires dans l’enseignement de l’histoire représente donc une manière d’aborder de front – et dans une perspective plurielle – une transformation sous-jacente à la plupart des pays étudiés, à partir du moment où un projet d’assimilation culturelle est dénoncé comme une négation des singularités légitimes et que les alternatives à ce projet s’opposent l’une l’autre.
Sans limiter cette problématique à une discussion interne aux outils et aux finalités de l’enseignement, les communications que cette journée d’étude réunit, font notamment apparaître l’imbrication de la production des savoirs scolaires dans des processus de recomposition géopolitique (la crise de l’État-nation), culturelle et anthropologique, qui interrogent non seulement les débat à l’échelle nationale, mais aussi l’action volontariste des institutions transnationales comme le Conseil de l’Europe, la Commission européenne, ou l’Unesco.
Une dimension spécifique de cette problématique est celle qui concerne l’autonomie régionale et l’acquisition, par des entités fédérées de plusieurs pays, de nouvelles compétences en matières d’éducation: la tendance est confirmée par la formation de macro-régions et de curricula transfrontaliers, ou bien par la promotion du patrimoine culturel des minorités reconnues, au sein même des frontières de l’État-nation.
Le concept de narration unificatrice ou de « roman national » a un caractère moins universel ou structurant qu’on ne pourrait le croire : dans plusieurs État-nations (y compris des anciens empires coloniaux), la tradition d’enseignement se réfère à une identité présumée, dont la définition n’est pas élaborée en termes ethniques. Le récit fondateur consiste alors d’un conglomérat de destins différents – une configuration fortement mise à mal depuis l’émergence des « petits patries » qui avaient été auparavant intégrés dans l’enseignement de l’histoire nationale [Chanet,1996]. Les craintes suscitées par ces phénomènes sont bien attestées par les récente tentatives de produire – en Grande Bretagne, aux Pays-Bas, mais aussi aux États-Unis et un Espagne – un canon commun, plus inclusif, mais dont les bases sont à réinventer [L’école et la Nation, 2013].
Dans d’autres cas (du Sud Tyrol italien aux Flandres), l’émergence de contre-récits nationaux a pu s’appuyer avec succès sur la conquête d’une autonomie politique : l’affirmation culturelle d’une mémoire et d’un contre-récit – activée au niveau des mobilisations de terrain, bien avant sa reconnaissance officielle dans les curricula – devient un acte de libération. Mais la multiplication des « micro-romans » régionaux les rend-ils plus légitimes, et plus politiquement viables ? La question est actualisée par le cas, posé notamment par les territoires de l’ancien empire soviétique, de la place des anciens citoyens d’un État pluriethnique au sein des « nouvelles patries », proclamant fièrement leur primauté.
En outre, les implications concrètes des processus de décentralisation sur les systèmes éducatifs ont été très diversifiés ; tantôt ils cautionnent la séparation des compétences en matière de programmes sur une base territoriale, tantôt ils introduisent la reconnaissance de nations dispersées sur le territoire national (comme le montre le cas des Samis, reconnus dans les années 2000 comme une « minorité nationale » bénéficiant de droits culturels), tantôt – comme en France - ils n’autorisent pas des compétences concurrentes dans le domaine éducatif alors que des demandes existent.
La question de la place des récits minoritaires dans l’enseignement de l’histoire - loin de s’épuiser dans la question des identités régionales - interroge également l’affirmation ou l’absence d’autres identités, qu’elles soient culturelles, ethniques ou religieuses, au sein des récits nationaux scolaires. L’intensification des flux migratoires (notamment entre l’Europe et d’autres continents) n’a fait que généraliser la discussion – bien présente dès les années 1980 dans le cas de la Grande-Bretagne, de la France et des pays scandinaves – autour des conditions de l’intégration des enfants d’immigrés et de la réponse la plus appropriée à la demande de reconnaissance et d’inclusion symbolique qui en émane. Ce débat, parfois violent, est loin d’être tranché ; il convoque, pour certains pays, les mémoires de l’expérience coloniale et la difficulté de les mettre en récit en variant les perspectives et les points de vue.
Les différents cas analysés montrent l’intervention de différentes instances de régulations pour prendre en compte dans un récit commun des groupes occultés, discriminés ou violentés comme les membres des « Premières nations » au Canada. Cette prise en compte met en cause d’une part l’intrigue héroïque sur laquelle les histoires nationales se sont édifiées et d’autre part, le paradigme de l’histoire scolaire formant des élèves-citoyens à travers une émancipation des identités jugées comme faisant obstacle au lien à la nation [Tutiaux-Guillon 2009]. Une telle évolution n’est cependant pas linéaire et se heurte à des logiques de nationalisation par assimilation/acculturation toujours en cours comme on le voit en Pologne.
BIBLIOGRAPHIE
- CHANET, J.-F. (1996), L’École républicaine et les petites patries. Paris, Aubier.
- DELIVRE, E. (2015), « Bâtir une histoire régionale, un pari inédit », Revue internationale d'éducation de Sèvres, 69.
- ERDMANN, E., HASBERG, W., (2011), Facing, mapping, bridging diversity : foundation of a European discourse on history education, Schwalbach Wochenschau Verlag.
- FALAIZE, B., HEIMBERG, C., LOUBES, O. (2013), L’École et la nation. Lyon, ENS éditions.
- LANTHEAUME, F., et LÉTOURNEAU, J. (dir.), (2016), Le Récit du commun. Presses Universitaires de Lyon.
- ROMEO, C. (2015), Alcuni aspetti dell’insegnamento della storia locale in Alto Adige/SüdTirol in BLANCO, L., TAMANINI, C. (ed.), La storia attraversa i confini. Esperienze e prospettive didattiche, Roma, Carocci.
- SEIXAS, P. (2018), History in Schools in BEVERNAGE B, WOUTERS, N. (2018), The Palgrave Handbook of State-Sponsored History after 1945, London, Palgrave Macmillan.
- TUTIAUX-GUILLON, N. (dir.) (2018), « Enseigner l’histoire en contexte de pluralité identitaire », La revue française d’éducation comparée, 17.
- TUTIAUX-GUILLON, N. (dir.) (2009), « L’histoire scolaire au risque des sociétés en mutation », La revue française d’éducation comparée, 4.